[Procès Klaus Barbie : Fortunée Benguigui, témoin du...

[Procès Klaus Barbie : Fortunée Benguigui, témoin du ministère public]
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0759 FIGRPTP0232 02
technique1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
historiqueLe procès de Nikolaus dit Klaus Barbie s'est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d'Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C'était la première fois en France que l'on jugeait un homme accusé de crime contre l'humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts : la rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte-Catherine ; la rafle d'Izieu du 6 avril 1944 ; la déportation de plus de 600 personnes dans le dernier convoi parti le 11 août 1944 de Lyon à destination des camps de la mort. Au terme de huit semaines d'audience, Klaus Barbie est condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il décède le 25 septembre 1991 à la Prison Saint-Joseph à Lyon.
historique"Regardez comme ils étaient heureux !"... Fortunée Benguigui-Chouraqui feuillette le livre de Serge Klarsfeld "Les enfants d'Izieu", tombe en arrêt sur une photo de fête ; nous montre ses trois garçons : "Vous voyez le petit dernier ? Quand il est né, c'est ma mère qui l'a reçu dans ses bras". Elle tourne les pages lentement, machinalement ; s'arrête sur un visage, recommence. S'exclame soudain avec colère : "Envoyer ces gosses à la mort ? Si ce n'est pas un crime, ça !". Fortunée n'a plus que des images de ses trois aînés, et les souvenirs enfouis dans son coeur. Qu'elle évoque difficilement : elle les a tus pendant si longtemps ! "Vous voyez, lorsque je suis revenue de déportation, lorsque la vie a dû reprendre son cours, j'ai eu des voisines qui avaient des gosses. Et bien, elles ne voulaient pas que je leur parle". A la question : "Pourquoi ?" qui fuse instantanément, Mme Benguigui met un certain temps à répondre. Et puis, elle relève la tête : "Je crois que les gens ne voulaient pas savoir. Nous, toutes les déportées, nous n'avons pas parlé pendent très longtemps. Et pourtant chacune d'entre nous avons vu beaucoup de choses, à sa manière. Mais comment se faire comprendre ?". Et Fortunée retrouve entre les pages les regards de ses enfants : celui de Jacques qui avait douze ans : "Un vrai boute-en-train. Quand nous habitions en Algérie, avant 1942, il était scout : il marchait toujours le premier. Et il chantait ; il était si gai". Et puis, elle glisse sur les traits de Richard, sept ans : "Lui aussi ; comme il était drôle". Le visage de Jean-Claude, le benjamin, lui arrache une anecdote : "Quand nous sommes arrivés à Marseille, il avait quatre ans. Mais tous les hommes de la maison venaient le regarder faire de la gymnastique. Il faisait des exercices, du trapèze, des roulades ; il était tellement souple". Le môme pétillant revit tout à coup sous le chaud soleil méditerranéen... Une pirouette de gamin pour un dernier clin d'oeil par-delà le temps. Ces trois garçons, Fortunée avait attendu dix ans de mariage pour les avoir. Et Dieu sait qu'elle les désirait ! "Mais pour les perdre comme ça, c'est encore pire !" Le pli de la bouche se fait amer. A Auschwitz, où elle fut déportée dès 1943, la jeune femme vit arriver Jacques un matin de 1944. "Au milieu d'un groupe d'enfants. Il portait un sac à dos". Ce qu'elle n'a pas dit d'emblée à l'audience, elle le raconte un peu plus tard, avec des mots qui s'entrechoquent : "Oh oui, je l'ai vu. Il était debout, et comme il était grand... Mais j'étais dans le bunker des expériences médicales. C'est au pied de ce bunker que l'on fusillait chaque jour des politiques. Mais c'est également là que se faisait le triage. Quand j'ai vu mon fils, j'ai failli crier. Une camarade m'a tirée à l'arrière de la fenêtre. Elle m'a dit : 'Ce n'est pas lui'. Plus tard, elle m'a expliqué que si j'avais appelé Jacques, on y serait toutes passées, au gaz. Nous n'avions pas le droit de regarder !". En rentrant des camps, Fortunée Benguigui apprendra avec certitude la disparition de Jacques, Richard et Jean-Claude : "Je me suis enfermée dans ma chambre et j'ai pleuré". Mais elle retrouvera la seule enfant que le destin lui a laissé, Yvette, née en 1941, et confiée à des fermiers d'Izieu. Une petite fille qui avait 22 mois lorsqu'elle fut séparée de sa mère. Et qui bien sûr, ne la reconnut pas. "Quand je suis allée la reprendre, elle a crié : 'Je veux maman'. Et maman, pour elle, c'était sa nourrice... J'en avais mal". Mais le coeur de Fortunée, lui, avait compris. Son corps, était par contre terriblement las. Et si Mme Benquigui n'osa même plus espérer d'autres enfants à venir, c'est d'abord parce qu'elle avait la pire et la plus douloureuse raison qui soit : dans la baraque des expériences médicales, on l'avait amputée du col de l'utérus, entre autres sévices. "Ils (les Allemands) apprenaient sur nous, comment rendre stérile. Ce qu'ils ont fait aux petites Grecques de 14-15 ans, qui étaient avec nous, c'était horrible. On leur séchait le ventre avec des plaques dans lesquelles passait du courant électriques !" Fortunée s'excuse des mots qu'elle utilise. Il n'y en a pas d'autres. Tout comme elle dit avec simplicité qu'un médecin juif avait été réquisitionné pour pratiquer ces expériences. Et son regard raconte clairement que personnes ne pouvait échapper, dans les conditions existant là-bas, à la contrainte... Source : "Fortunée Benguigui-Chouraqui" / Odile Cimetière in Le Progrès de Lyon, 3 juin 1987.
note bibliographiqueLes enfants d'Izieu : une tragédie juive / [documentation réunie et publiée par] Serge Klarsfeld, 1984 [BM Lyon, 01 Z8 ENF].

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